"Saint Seiya in Love : Marin"

Chapitre 1 : "Héritages"


Quand Marin entra dans le bureau d'Athéna, elle vit que monsieur Tanaka était assis dans un coin. Le vieil homme était un ami de Mitsumasa Kido, et c'était lui qui venait de réunir Julian Solo et Seika. Depuis, on le voyait souvent au Sanctuaire, où il venait chercher des renseignements. De quelle nature, Marin n'en savait rien.

"Déesse Athéna, vous m'avez demandée ?"

La question était sans objet puisqu'en effet, Athéna l'avait demandée. Mais Marin posait cette question comme une entrée en matière polie et respectueuse.

"Oui, Marin. Assieds-toi, je t'en prie..."

Marin obtempéra mais derrière son masque, elle s'interrogeait. Pourquoi l'inviter à s'asseoir ? Les chevaliers restaient toujours debout devant le bureau, ou un genou à terre devant le trône. Marin ne se sentait pas à l'aise, assise face à Athéna, pourquoi prenait-elle ces précautions avec elle ?

"Marin, j'ai... enfin, plutôt monsieur Tanaka a quelque chose à te demander, et cela ne sera certes pas facile pour toi. Monsieur Tanaka ?"

Le vieil homme ne quitta pas son fauteuil, mais toussa deux fois pour s’éclaircir la voix avant de parler. Marin, tournée vers lui, l’écoutait attentivement.

"Mademoiselle Marin, vous devez savoir que je recherche mes petits enfants disparus, il y a bientôt quinze ans dans cette région de Grèce. Lorsque mon fils trouva la mort dans cet accident de voiture, avec sa femme et ses enfants, j’étais allé sur les lieux pour comprendre et peut-être, retrouver un survivant. Je n'avais jamais pensé au Sanctuaire pour venir chercher des renseignements, et il y a quelques années, les étrangers n'y étaient pas les bienvenus. Mais depuis plusieurs semaines, nous consultons les archives où sont consignées certaines choses, comme l’arrivée de nouveaux postulants chevaliers. Vous êtes consignée dedans, mademoiselle."

Où voulait-il en venir ? Bien sûr qu'elle était consignée dedans ! Marin ressentit une pointe de peur. Le passé, ce passé qu'elle avait oublié, allait resurgir. Serait-il bon ou mauvais ?

Le vieil homme continua. "Votre maître, celui qui vous a tout appris, et celui qui vous a faite entrer au Sanctuaire, a ajouté un commentaire à ces archives. Il y dit qu'il vous avait trouvée sur une plage, au bas d'une falaise, alors que vous étiez inconsciente. Il semblerait d’après la description qu'il en fait, que vous ayez été éjectée de la voiture et étiez tombée en mer. Apres avoir miraculeusement échoué sur une plage, vous vous trouviez trop loin du lieu de l'accident pour que votre maître puisse faire le lien. Peut être ignorait-il même qu'il y ait eu un accident tout près."

"Attendez une seconde... Vous voulez dire que... que j'étais dans la voiture accidentée, et que je suis votre..." les mots semblaient étranges dans la bouche de Marin "...votre petite fille ?"

"C'est exactement cela. Vous vous nommiez alors Setsuko, et vous étiez bien la fille de mon fils. Je suis votre grand-père. Mais..."

Le vieil homme hésita un instant.

"Mais malgré que les faits semblent concorder, un doute subsiste. Il n'y a qu'une seule façon d’être sûr de votre identité. Je voudrais voir votre visage."

Marin qui s'était levée pour parler au vieil homme, se rassit, sentant ses jambes se dérober sous elle. Un frisson la parcourut, comme si le vide glacial de l’espace se faisait autour d'elle. Elle ne parvenait pas à assimiler la nouvelle ni la requête de cet homme. Montrer son visage ? C'était exclu.

"Marin, j'ai levé l'obligation du port du masque, ainsi que cette loi stupide que devaient subir les femmes chevaliers dévisagées. Tu peux ôter ton masque sans crainte."

"Je... Non, désolée, Athéna. Je ne peux. Je porte ce masque depuis trop longtemps..."
"Je comprends vos réticences, Marin, mais j'insiste..." Le vieil homme avait l'air grave.
"S'il te plaît, Marin. Cela restera entre nous trois. Et tu sais que Monsieur Tanaka ne demande pas cela à la légère. Je demande à Marin, la jeune femme, et non au chevalier que tu es, de bien aider cet homme à vérifier si tu es sa petite fille."

Marin hésita, mais se tourna vers monsieur Tanaka, et ôta son masque. Elle préféra regarder ailleurs, tandis qu'il la dévisageait, se sentant horriblement gênée, comme si on la regardait nue. Puis elle remit son masque en place.

"Je... Marin, vous ressemblez tant à ma petite fille... Aucun doute n'est plus permis..."

"Je... Ecoutez... Que me voulez-vous ? Qu'attendez-vous de moi ?"
"Rien, je ne vous demande rien, Marin. Vous n’êtes plus ma petite Setsuko, Mlle Saori m'a dit que vous aviez oublié votre enfance. Je voulais vous retrouver, savoir si vous étiez en vie. Je ne veux rien vous imposer, votre vie vous appartient. Mais désormais, ma porte vous sera toujours ouverte, j'accepterais avec joie chacune de vos visites, avec pour seule satisfaction que de savoir qu'en vous vit un peu de mon passé."

Marin ne savait quoi dire. Elle admirait cet homme qui avait passé sa vie à la rechercher, et qui, maintenant qu'il l'avait trouvée, préférait s'effacer pour la laisser mener sa propre existence.

"Je... Je vous remercie, mons... grand-père." Le vieil homme sourit à ces mots. "Je... je ne m'attendais pas... Et c'est si gentil à vous... Je vous promets de passer souvent vous voir. Je... Sans doute pourrez-vous m'aider à retrouver des bribes de ce passé que j'ai perdu."
"Ce sera avec joie, Marin."

Marin se leva, se tournant vers Saori.

"Je... Athéna, monsieur Tanaka, veuillez me pardonner, je crois que j'ai besoin de prendre l'air."

Saori essuya une larme au coin de son oeil. "Oui, bien sûr, Marin. Je comprends."

Marin allait sortir quand le vieil homme reprit la parole.
"Si. Il y a bien une chose que je voudrais vous demander, mais vous pouvez refuser. A ma mort, je souhaite que vous héritiez de ma fortune. Vous en ferez ce que vous voudrez, mais je ne voudrais pas qu'elle tombe dans les mains des requins qui dirigent ma compagnie. C'est ma seule requête."

Marin se retourna vers monsieur Tanaka.
"Mais... je ne sais si... Je ne pourrai pas..."
"Si ma fortune ne vous intéresse pas, vous pourrez vous en débarrasser. La confier à Mlle Saori, par exemple, en qui j'ai toute confiance. Ou la distribuer à des oeuvres. Tout sauf enrichir ces vampires. Je ne vous demanderai que cela, Marin."
"Je comprends."

Marin sortit, ferma la porte derrière elle et essuya les larmes qui coulaient sous son masque.


Le mariage de Seika avec Julian était un joyeux événement. Lorsque Seiya avait disparu, avant qu'il ne revienne avec Athéna et les autres, Marin avait sympathisé avec Seika, et elles étaient devenues somme deux soeurs. La voir en ce jour, rayonnante, si belle dans sa merveilleuse robe blanche, faisait plaisir à voir.

Mais en même temps, Marin était cruellement consciente de sa propre solitude. Depuis qu'elle était arrivée au Sanctuaire, elle avait admiré, puis avait secrètement observé, et enfin aimé, Aiolia, le fier chevalier d'or du Lion. Aiolia était un peu comme elle, un paria au sein du Sanctuaire, le frère d'un traître honni de tous. Elle, par ses origines asiatiques, était aussi mal vue par les membres les plus conservateurs du Sanctuaire qui n'acceptaient pas les étrangers. Combien avaient regretté ensuite de ne les avoir pas bien considérés, lorsqu'ils obtinrent leurs armures respectives, d'or et d'argent.

Marin, désormais chevalier à part entière, avait malgré tout conservé un certain lien avec Aiolia, et s'était rendu compte un jour que le chevalier du Lion était le seul homme du Sanctuaire qui faisait battre son coeur plus vite lorsqu'elle le voyait. Marin comprit soudain qu'elle était amoureuse, mais la Loi du Sanctuaire se dressait entre eux. Si Marin exposait son visage à Aiolia et que celui-ci la rejette, elle n'aurait d'autre solution que de l'affronter en un combat à mort. Quels étaient les sentiments du Lion à son égard ? Marin se posa longtemps cette question.

Lors de la Bataille du Sanctuaire, Marin avait craint pour les vies des trois êtres qui lui étaient les plus chers : Seiya, son supposé frère, Aiolia, et Athéna. Fort heureusement, tous trois sortirent saufs de cette guerre, et Marin crut un moment que la paix était gagnée pour toujours. Elle commençait à envisager l’idée de se dévoiler à son seul amour, et d'affronter son destin. Hélas, la guerre d'Asgard éclata, et Marin partit au combat aider Athéna. Gravement blessée par Alberich, elle resta un temps alitée, se maudissant de sa faiblesse. Mais sa détermination était en même temps renforcée. Elle devait tout dire à Aiolia, et vivre avec lui, ou mourir si jamais leur amour était impossible. Mais avant cela, elle avait une dernière tache à accomplir.

Asterion avait décelé en elle des souvenirs qu'il avait interprété comme un signe que Seiya était son frère. Et en effet, des réminiscences de son passé étaient bien présentes en elle, mais si confuses, si floues, qu'elle ne pouvait être sure de rien. Elle s'était demandée si la vision de Seiya enfant et les souvenirs de son petit frère ne s’étaient pas mélangés en elle, induisant Asterion en erreur. Seiya avait une soeur, cela était sûr, mais Marin ne pouvait pas se démasquer devant lui pour qu'il soit sûr de son identité. Elle devait retrouver la soeur de Seiya si c'était possible, et si non, elle accepterait d’être cette soeur.

Marin partit en quête de Seika dès qu'elle put se lever, alors que la guerre contre Poséidon arrivait à son terme et elle ne vit pas commencer celle contre Hadès. Elle venait de retrouver la grande soeur de Seiya, elle aussi amnésique quand elle ressentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Cette sensation, si désagréable, elle était sure que c'était un morbide pressentiment. Elle rechercha le cosmos de Seiya, le trouva, puis celui d'Athéna, qu’elle vit briller malgré la distance, loin dans l’Elysée et enfin celui d'Aiolia. Elle se mit à paniquer, le cosmos si brillant du Lion avait disparu ! En rentrant au Sanctuaire, elle eut confirmation de ses craintes. Les cosmos de tous les chevaliers d'or avaient disparu. Aiolia et ses frères d'armes avaient péri, ils s’étaient sacrifiés pour détruire le Mur des Lamentations.

Marin ramena Seika au Sanctuaire, vers Seiya. Elle n'était plus la soeur du chevalier Pégase, le seul homme qui avait compté dans sa vie était mort, et elle était l'une des plus faibles chevaliers du Sanctuaire, inutile pour Athéna ou presque.

Elle était seule.
 
 

"Eh Marin, tu rêves ??"

Marin eut un sursaut quand Seiya posa sa main sur son bras. Tous étaient déjà en train de quitter l’église et elle restait là, debout, à rêvasser à ses tristes histoires. Son grand-père, monsieur Tanaka, la regarda avec inquiétude.

"Marin, vous ne vous sentez pas bien ?"
"Pardon, ce n'est rien. J’étais ailleurs. C'était un beau mariage."
"Tu n'as pas regardé la cérémonie, Marin." lui dit Seiya. "A quoi pensais-tu donc ?"
"A rien qui te regarde, insolent disciple !" dit-elle avec une voix enjouée. Elle prit le bras de son grand-père et se dirigea vers la sortie, vers la lumière éclatante de cette belle journée.


Marin n'arrivait pas à trouver le sommeil. Depuis deux nuits, depuis le mariage de Seika en fait, le spectre d'Aiolia hantait ses nuits, et elle ne parvenait pas à fermer l'oeil. Parfois elle craquait et sanglotait doucement, puis séchait ses larmes, se refusant à passer le reste de sa vie à pleurer un cadavre.

Marin se leva, et traversa sa chambre. Elle immergea ses mains dans la cuvette d'eau fraîche, et s’aspergea le visage. Elle releva la tête, puis ouvrit les yeux. En face d'elle, sur le mur, le miroir lui renvoyait un visage ruisselant d'eau. Son visage. Mais était-ce bien le sien ?

La jeune femme regarda sur la table de nuit. Le masque brillait à la lueur de la lune de reflets métalliques. C'était lui son vrai visage, celui qu'elle montrait à tous. Le masque impassible, figé, de la femme chevalier. Et non celui de la jeune femme que lui renvoyait son miroir. Ce visage là lui était presque inconnu. C'était une personne étrangère, une sorte de fantôme sans souvenirs qui ne se montrait que dans les miroirs. Depuis sa petite enfance quand elle était arrivée au Sanctuaire, jamais un homme n'avait vu son visage, jamais une femme, non plus. La dernière personne à l'avoir vue était son maître, mort depuis longtemps déjà. Personne au monde ne connaissait le visage secret de Marin, chevalier d'Argent de l'Aigle. Sauf Athéna et monsieur Tanaka, depuis ce jour si terrible pour elle où elle dut se dévoiler. Mais ils ne comptaient pas vraiment. Mis à part ces deux êtres, personne ne connaissait ses traits.

Pas même Aiolia.

Marin réprima un sanglot. Ces pensées revenaient sans cesse. Quoi qu'elle fasse, le visage d'Aiolia revenait devant ses yeux, masquant ceux des personnes qui lui parlaient, lui donnant des hallucinations, des sauts de joie parfois quand elle croyait le voir apparaître ici ou là.

Marin secoua la tête, et sortit. Elle ne pourrait pas dormir.


"Marin, j'ai quelque chose à te demander."
"Oui, Athéna ?"

Saori eut l'air gêné, puis se décida.

"Marin, il faut que tu abandonnes ton masque."

Marin frissonna. Elle ne put rien dire, et laissa Athéna continuer.

"Je... Je sais ce qui te tourmente, et je voudrais que tu puisses vivre normalement. Mais tant que tu te cacheras derrière ce masque, tu ne pourras pas mener une vie heureuse. Ce masque te sert de protection, mais il est aussi une prison, Marin. J'ai aboli l'obligation du port du masque, aussi tu peux le garder pour le moment, mais si tu ne fais rien, j'interdirai simplement son port, et tu seras alors obligée de vivre au grand jour. Je veux te laisser le choix, Marin, je voudrais que tu décides de le quitter par toi-même."

Marin recula d'un pas.

"A... Athéna, c'est impossible !! Je ne peux pas... Le premier homme..."
"Marin, j'ai aboli cette loi ! Qu'un homme te voie ou pas, tu n'en mourras pas, et rien ne t'obligeras à l’épouser ou le combattre. Je t'en prie, Marin. J’ai vu ton visage, tu es belle, même si ta peau est blafarde à rester en permanence derrière ce métal, cachée du soleil. Tu ne dois plus te dissimuler. Ni des hommes, ni de toi."

Marin baissa les bras. "Bien, Déesse Athéna, j’obéirai si vous me l'ordonnez."
"Pas pour le moment. Je te le demande, mais si tu t’entêtes, alors oui, je te l'ordonnerais, bien qu'à contrecoeur."

Marin eut une idée, hésita mais risqua quand même sa proposition..
"Athéna... Si je... Je voudrais conserver mon masque au Sanctuaire, d'abord. Je voudrais juste l’ôter en dehors de l'enceinte des Temples. Au milieu de la foule anonyme, ce sera plus facile. Je... Je ne suis pas prête à me montrer à mes amis. Pas eux..."
"Comme tu le voudras, Marin. Mais tu dois le vouloir par toi-même. Shaina a abandonné son masque depuis longtemps déjà, et Junon aussi, depuis son mariage. Tu es la dernière femme du Sanctuaire à t'accrocher à cette coutume. Je te laisse libre de t'organiser, mais je me refuse à te voir gâcher ta vie."

Marin hocha la tête et quitta le bureau d'Athéna, les poings serrés. Ce que la Déesse demandait là était la chose la plus difficile qu'elle ait eu à affronter.


La jeune femme marchait sur le trottoir de la rue la plus fréquentée d'Athènes. Elle rougissait chaque fois que le regard d'un passant s'attardait sur ses traits, mais jamais ce regard n'était plus que légèrement surpris par la blancheur de ce visage si fin. La foule l'ignorait.

Marin se surprit à aimer la caresse du soleil sur ses joues, et progressivement, elle finit par ignorer les regards qu'on lui portait. Ces gens passaient dans sa vie pendant une fraction de seconde, et disparaissaient. Ces gens n’étaient pas importants.

Vêtue de vêtements "civils" moins voyants que la tenue confortable qu'elle portait pour le combat, elle passait totalement inaperçue, désormais, et découvrait que la vie au grand jour était moins pénible qu'elle ne se l'imaginait. Elle pouvait entrer dans des magasins, acheter de la nourriture, sans passer pour une curiosité. Les vêtements, les fanfreluches, ne l’intéressaient pas, elle avait juste acheté des habits discrets et agréables à porter - un pantalon noir et une chemise rouge, ainsi, quelques jours plus tard, qu'un soutien gorge, lorsqu'elle s’aperçut que de nombreux regards masculins se portaient vers sa poitrine libre sous la mince chemise - et n'avait pas trouvé utile d'augmenter sa garde-robe depuis.

Quelle transformation ! se disait elle tout en marchant. En moins de deux semaines, elle avait trouvé le courage de se démasquer, de vivre au milieu de la foule, et la veille, elle s'était rendue chez Seiya et lui avait - enfin - dévoilé son visage. Seiya avait eu les larmes aux yeux en la voyant, il était si fier du courage de celle qui fut son maître. Il savait ce que cela représentait pour elle. Ils avaient pleuré ensemble, dans les bras l’un de l’autre, et Marin s’était enfin autorisée à laisser libre cours à ses émotions.

Et aujourd'hui, elle se sentait merveilleusement bien. Athéna avait eu raison, c'était stupide de sa part de se cacher ainsi. La vie serait désormais un peu plus facile même si LUI n'était pas là.

Marin leva les yeux au ciel, lorsqu'elle vit l'ombre d’un oiseau passer au-dessus d'elle.
"Attention !" L'homme qui la bouscula était irrité. Marin se baissa pour ramasser ses oranges qui avaient roulé sur le trottoir.
"Vous ne vous êtes pas fait mal, au moins ?" Cette fois, la voix était plus douce.
"Non, je..." Marin ne termina jamais sa phrase. En levant les yeux vers l'homme inconnu, elle se trouva face au visage d'Aiolia. Elle cligna des yeux une fois, secoua la tête, et le regarda à nouveau.
"Ca va pas ? Vous vous sentez bien ?" Cette fois, il était surpris de la voir ainsi interdite.

Marin n'en revenait pas. Ce n'était pas une hallucination, mais bel et bien Aiolia qui était devant elle !!

Aiolia était en vie !!


Chapitre 2 : "Le spectre de l’autre"


"Eh bien quelle histoire !" Pieter souriait largement.
"Stupide n'est-ce pas ?"
"Non, pas du tout. C'est même triste, quand on se met à votre place. Pardonnez ma légèreté."

Marin sourit timidement. Quand elle avait rencontré Pieter, elle l'avait pris pour Aiolia tant il lui ressemblait. Mais ce n'était pas le chevalier du Lion, juste un sosie, fort ressemblant. A y regarder de plus près, il n'avait pas exactement la même couleur d'yeux, et son menton était un peu plus carré. Mais il lui ressemblait tant...

Pieter quant à lui, avait été fort surpris de voir la jeune femme se jeter à son cou, de l’entendre parler de résurrection et de chevaliers et de lions, puis de la voir si embarrassée après s’être rendue compte de son erreur. Il l’avait invitée dans un café afin qu'elle l’éclaire sur ce comportement et elle lui avait raconté sa triste histoire. Pieter n'avait jamais vu de chevalier, et il était en train de discuter avec une charmante représentante de cette confrérie mystérieuse dont on entendait parfois parler à Athènes.

"Vous habitez au Sanctuaire ? Il faudra que je le visite, un jour. Qui sait, nous pourrions nous y rencontrer ?"
"Impossible. Certains endroits sont interdits aux touristes. Et je vous déconseille d'essayer d'entrer de force, les punitions sont sévères, même si cela s'est assoupli depuis quelques années. Mais vous, où logez-vous ?"
"Oh ici ou là. Je suis un bourlingueur, je n'ai pas de domicile fixe, je vis parfois dans des hôtels miteux, parfois sous les ponts quand je suis fauché. La plupart du temps, je trouve une petite chambre près du port. Parfois je bosse, parfois non. J'aime bien la vie de bohème."

Marin ne répondit pas. Elle-même n'était attachée à rien. La petite maison au Sanctuaire ne lui servait qu'à dormir et à prendre ses repas à l'abri des regards, une précaution qui devenait chaque jour plus inutile.

"Marin ? Vous rêvez ?"
"Oh pardon. Je réfléchissais. En quelque sorte, je suis comme vous, détachée de tout, sauf que je reste au Sanctuaire la plupart du temps. C'est mon seul point fixe."

Pieter sourit.
"On a tous un point fixe, vers lequel on retourne. Seuls quelques chanceux n’ont besoin de rien, ni de personne."
"Je ne sais pas s’ils sont vraiment chanceux. Avoir quelqu’un qui compte vraiment pour vous, c’est magnifique. Mais quand celui-là disparaît, la vie elle-même devient insupportable..." souffla Marin, les dents serrées.

Pieter la regarda gravement, puis changea soudain son attitude.
"Assez de morosité ! Dites-moi, vous êtes chinoise, non ?"
"Japonaise. Vous-même..."
"Tutoyez-moi. Je peux, moi aussi... ? "
"Oui, bien sûr. Vous... Tu n'es pas grec, n'est ce pas ?"
"Non, je suis d'origine Slave, par mon père. Mais ma mère était une immigrée grecque. Je suis revenu dans ce pays, depuis. J'aime bien Athènes, il y fait toujours beau."
"Ca n'est pas vrai. Nous avons aussi des hivers rudes."
"Mais en hiver, je ne suis pas là. Toujours suivre le soleil, pour ne pas avoir froid."

Marin sourit. Pieter était la bonne humeur incarnée, il avait du bon sens, et voyait toujours les choses positivement. Comme Aiolia...

Marin jeta un oeil par la fenêtre, tandis que Pieter parlait. Un oiseau de proie passait au-dessus des toits, survolant la ville à la recherche d'une victime. Décidément, les rapaces s'aventuraient en ville ces temps-ci...


"Pieter, que penses-tu de ce pull ?"
"Euh... il est pas trop sombre ?"

Depuis trois semaines qu'ils se voyaient régulièrement, Marin avait pris de l'assurance. Elle n’hésitait plus maintenant à entrer dans les boutiques de vêtements, s'achetant pour elle des tenues plus coquettes, voulant paraître plus féminine, et parfois entraînant Pieter avec elle pour lui offrir des habits moins usés. Pieter était actuellement sans emploi, et ses quelques réserves financières lui servaient à louer une petite chambre inconfortable dans une rue près du port, où il recherchait du travail. Depuis qu'elle l'avait rencontré, Marin avait partagé le crédit qui lui était alloué par la Fondation avec lui, l'invitant au restaurant, ou lui offrant, comme en cet instant, un nouveau pull-over.

"Pourquoi ? Il est pas bien ?"
"Bof, tu sais, le marron..."
"Mais si. Avec un jean neuf, et une belle ceinture, ça te donnera un air neuf. T'as l'air d'un clodo avec tes vieilles fringues !"
"Merci du compliment !" dit-il en riant. "Entendu, va pour le marron !"

Marin régla les achats, puis prit le bras de Pieter pour marcher à ses cotés.
"Pieter... Je sais que ça fait pas longtemps qu’on  se connaît... mais je voudrais te présenter quelqu'un..."
"Seiya ?"
"Euh... oui. Comment... "
"... je le sais ? Tu es plus facile à lire que tu ne le penses, Marin. Tu n’arrêtes pas de me parler de lui !"
"Tu... je ne veux pas t'obliger..."
"Non, pas du tout. Je serai ravi de le rencontrer. Mais il n'est pas au Japon ?"
"Non, pas en ce moment. Il est là pour deux mois. Un de ces jours, on peut aller le voir, lui et sa femme."
"Ah ? Ils sont venus ensemble, cette fois ?"
"Oui. Miho n'a pas voulu lâcher son époux, je crois qu'elle a peur de laisser Seiya seul pendant deux mois. Elle est un peu possessive. Mais c’est normal, ils viennent juste de se marier."
"Et tu crois que Seiya pourrait... la tromper ?"
"Non, pas du tout. Maintenant qu'il a fait un choix, je doute qu'il délaisse Miho, même pour regarder une autre femme."
"Tu crois dur comme fer à la fidélité."
"Oui. C'est à mon avis la seule preuve de l'amour entre deux êtres. S'ils se suffisent l'un à l'autre, c'est qu'ils sont liés à jamais."

Pieter ne répondit pas, et déplaça son bras pour entourer les épaules de Marin, la rapprochant de lui. Marin le laissa faire en souriant.


"Extraordinaire..." Seiya était soufflé. Marin lui avait bien dit que Pieter ressemblait à Aiolia, mais il ne voulait pas le croire. Et l'avoir devant lui le stupéfiait. C'était comme si le chevalier du Lion était en vie. Il avait la même taille, le même regard, les mêmes vêtements. Même son sourire ironique lui ressemblait un peu.

"C'est.. c'est fou, cette ressemblance...". Marin retint un éclat de rire. Seiya était tellement surpris qu'il se tenait là à la porte, ne pensant même pas à faire entrer ses invités. Miho apparut derrière lui, et lui fit comprendre d'un geste son impolitesse. Seiya s'excusa et les invita à l’intérieur. Marin fut surprise, Athéna avait fait les choses en grand !

La petite maison dans laquelle Marin et Seiya avaient passé six ans était sans doute minuscule, mais elle s'était dit que c'était bien suffisant pour des chevaliers. Après tout, ils n’étaient pas là pour y vivre confortablement. Or la demeure de Seiya et Miho était une maison tout ce qu'il y avait de vivable, et au sein du Sanctuaire, elle paraissait même luxueuse. En y entrant, on arrivait directement dans un grand salon salle à manger, assez spacieux pour toute une famille. Une petite cuisine à la gauche, et sur le mur opposé à la porte d’entrée, trois portes donnant sans doute sur des chambres et les commodités. Miho avait là tout le confort auquel elle pouvait s'attendre au Japon : l'eau courante, l’électricité, des toilettes, étaient autant de luxes pour la plupart des chevaliers qui, sommes toutes, vivaient dans des conditions presque moyenâgeuses. Seiya avait sans doute fait pression sur Saori pour que cette maison soit construite, afin que Miho puisse l'accompagner lorsqu'il devait rester au Sanctuaire pendant les deux mois de son mandat de Pope. Marin se sentit un peu jalouse de son disciple, qui avait tant d'influence sur la Déesse.

Miho avait dressé une belle table, pour un dîner à quatre. Marin eut une pointe de gêne, car elle trouvait cette table, et le repas qui allait s'y dérouler, déjà trop formels, trop... "civils". Mais en s'approchant, elle vit que Miho avait bricolé avec les moyens du bord, car les serviettes ainsi que la nappe étaient en papier, et le bouquet de fleurs au centre de la table n'était composé que de fleurs sauvages que l'on trouvait sur les pentes du Sanctuaire. Mais le tout était assez bien arrangé, donnant l'impression que c'était une table de chef. Miho la rassura aussi quant au repas, qui était fort simple, mais bien choisi. Avec peu de moyens, Miho avait réussi à recréer une ambiance, une situation, qui semblaient incongrus au Sanctuaire, mais parfaitement normales ailleurs. La femme de Seiya était sans doute une excellente maîtresse de maison.

Le dîner fut fort plaisant et ils parlèrent beaucoup. Marin s’étonna de la civilité de Seiya, qui était bien plus à l'aise qu'elle, tandis que Miho et Pieter, tous deux extérieurs à la chevalerie, se comportaient très naturellement. Mais au fur et à mesure du repas, Marin se détendit et participa plus activement à la conversation, se trouvant finalement très à l'aise. La présence de Pieter y fut pour beaucoup, car il sentait toujours quand elle se mettait en retrait pour éviter de répondre et parlait alors à sa place, ou au contraire se tournant vers elle quand elle voulait prendre la parole mais n'osait pas, l'invitait alors à s'exprimer.

Lorsqu'ils quittèrent leurs hôtes, Marin raccompagna Pieter jusqu'à sa chambre près du port. Sur le seuil, les deux amis discutèrent encore un peu.

"C'était vraiment très bien. Seiya et Miho sont vraiment sympa."
Marin se sentit un peu gênée que Pieter complimente ainsi son disciple. Après tout, elle avait aussi participé à son éducation.
"Oui, et je trouve qu'ils vont bien ensemble. Ils s'entendent parfaitement."
"Mais je crois... que c'est ce qu'ils ont dû penser de nous, eux aussi. Tu étais radieuse, ce soir."
Marin était rouge désormais, et ses joues lui brûlaient. Elle détourna le regard.
"Non.. c'est grâce à toi. Tu as su m'aider quand je n’étais pas à l'aise... Je n'ai pas l'habitude de ce genre de situations..."
"Oh mais Seiya non plus sans doute, avant qu'il ne vive avec Miho. Elle y est pour beaucoup, j'ai remarqué que Seiya calquait un peu son comportement sur celui de sa femme."
"Ah bon ? Je n'ai rien remarqué."

Il y eut un silence gêné. Puis Marin se décida à partir.
"Je... bien... bonsoir alors..."
"Oui... Bonne nuit. On se voit bientôt ?"
"Euh oui... je t'appelle ?"
"D'accord."

Marin tendit maladroitement sa main à Pieter, se sentant un peu ridicule. Habituellement, ils se séparaient en se donnant un signe de la main, mais elle sentit que ce n'était pas adéquat. Pieter sourit, prit sa main dans la sienne, mais au lieu de la secouer, il la porta à ses lèvres et y déposa un baiser. Marin était écarlate.
"A bientôt, Marin. J'attends ton appel avec impatience."

Il rentra dans sa chambre, et Marin rentra comme un automate chez elle, où elle mit longtemps avant de s'endormir.


"Salut Marin !"

Elle n'avait pas pu attendre et l'avait appelé dès le lendemain matin pour le voir dans l'après-midi. Sa présence lui manquait, elle devait le revoir. Elle lui avait donné rendez-vous devant une petite fontaine sur une place près du port, et en arrivant là, elle constata qu’il était en avance. Marin se demanda en le voyant pourquoi il tenait ses deux mains derrière son dos.

"Salut Pieter ! J'avais envie de me promener, tu veux m'accompagner ?"
"Oui. Mais avant, accepte ceci."

Pieter dévoila ce qu'il dissimulait derrière lui : un énorme bouquet de fleurs. Marin fut si surprise qu'elle ne put rien dire, prenant doucement le bouquet dans ses bras.

"Eh bien ? Tu es muette tout à coup ? Ce ne sont que des fleurs, un petit cadeau pour la merveilleuse soirée d'hier."
"Je... Je sais pas quoi dire... On m'a jamais offert de fleurs..."

Marin avait les larmes aux yeux.  C'était la chose la plus romantique qu'elle ait jamais vu. Et c'était pour elle.

"Je... merci, Aio... Pieter." se rattrapa-t-elle. "Je... pardon, je sais plus ce que je dis." Elle essuya ses larmes, et lui sourit largement.
"Bien, on y va ?" demanda Pieter, qui n'avait pas noté - ou pas voulu noter - son erreur.
 
 

Marin s'arracha aux lèvres de Pieter et recula de quelques pas, fuyant le regard de son ami.
"Mais pourquoi ?" demanda-t-il. "Je... tu ne m'aimes donc pas ?"
"Je... Je ne sais pas. C'est si nouveau pour moi... Pas l'amour... mais ces gestes, les fleurs, et puis ce baiser... Je ne sais pas comment réagir, ça va trop vite."
"Je comprends. Ca ne doit pas être facile tous les jours de vivre comme un chevalier. Mais j'attendrai, Marin, j'attendrai le temps qu'il faudra."
"Je... non. J'ai déjà perdu trop de temps... Je me sens bien avec toi, mais parfois c'est si étrange..."

Le regard de Pieter devint dur.

"C'est parce que tu ne me vois pas. Tu me regardes mais tes yeux reflètent autre chose. Ce n'est pas moi que tu vois, c'est l'autre."
"Non, qu'est ce qui te fait croire ça ?"
"Je suppose qu'il portait une tenue marron et bleue ? C'est pour ça que tu as insisté pour m'acheter ce pull. Seiya a reconnu ces vêtements aussi. Tu me présente tes amis, tu me parles des chevaliers, tu me racontes ta vie. Mais tu ne me demandes rien, ou presque. Je ne t’intéresse pas, seule mon image, ma ressemblance avec lui. Tu me fais jouer son rôle."
"Non... je... je ne voulais pas..."
"C'est peut être inconscient, mais tu dois alors le comprendre. Tu vis dans le passé, Marin. Et tu risques gâcher ce que nous ressentons l'un pour l'autre à cause de ça."

Marin baissa les yeux.

"Marin, Aiolia est mort, tu dois l'oublier. Mais nous, nous sommes vivants. Nous sommes jeunes, pleins de vie. Je veux profiter de mon existence. Et si possible avec toi à mes cotés."

Pieter avait des yeux si convaincants. Oui, elle avait essayé de faire jouer à Pieter le rôle d'Aiolia. Mais Pieter n'était pas le Lion, il était lui-même. Et suffisamment gentil, attentionné, et surtout patient avec elle, par lui-même. Si elle devait l'aimer, elle ne devait pas le voir comme un substitut d'Aiolia.

"Marin, je ne peux rien décider pour toi. C'est à toi de voir. Mais si tu peux oublier Aiolia, si tu peux me regarder sans me comparer à lui... Je serais toujours là pour toi, Marin, si tu veux bien de moi."

Marin se tourna vers Pieter, rivant son regard dans le sien, l'air grave.
"Tu as raison, je vis trop dans le passé. C'est la malédiction de trop nombreux chevaliers. Il faut changer cela. Je vais essayer de vivre dans le présent, avec toi, si tu veux m'aider. Je ne te promets pas de toujours t'appeler par ton nom, mais je ferai des efforts. Tu es ce que j'ai de plus précieux aujourd'hui, et je ne veux pas te perdre. C'est promis, je t'aimerai pour ce que tu es, non ce que lui était."

Pieter la regarda fièrement, et se pencha vers elle. Elle lui offrit ses lèvres à nouveau, tout en pensant "Adieu, Aiolia..."


Marin laissait Pieter faire. Elle se doutait bien qu'un aussi bel homme que lui n'était pas inexpérimenté en amour, mais elle, se sentait trop timide pour prendre des initiatives. Elle parcourut tout de même le torse musclé et imberbe de Pieter de ses doigts, courant sur la peau, tandis qu'il la caressait et l'embrassait, passant et repassant ses mains sur son corps dénudé.

Jamais elle n'avait pensé qu'un contact humain pouvait être aussi... délicat. Son corps la brûlait, et elle se sentait humide, malgré que jamais Pieter n'ait exploré son intimité. Ses seules caresses suffisaient à échauffer son corps et son esprit, et ses tendres baisers, qui duraient si longtemps, lui faisaient perdre la notion du temps. Depuis combien de minutes, d’heures, la préparait-il ainsi à ce qu'elle savait inconsciemment attendre ?

"Marin..." entre deux baisers, le souffle court, Pieter lui parlait doucement. "Marin, mon pantalon va exploser... J'ai si envie de toi..."
Marin souffla un "oui", consciente de ce qu'elle acceptait. Elle entendit le pantalon s'ouvrir, et Pieter laissa un gémissement s’échapper quand il libéra sa chair. Il se serra contre elle, et elle put sentir combien l'excitation était grande, le membre pulsant contre sa cuisse. Pieter s'approcha plus encore, mais Marin, le devançant, saisit la hampe d'une main, en parcourut un instant la longueur, la pointe, avant de le guider en elle.

Il la pénétra doucement, glissant facilement jusqu'à être arrêté dans sa course. Il regarda alors Marin, les yeux interrogatifs.

"Le voeu de chasteté des chevaliers. Une coutume qui n'a plus court aujourd'hui." dit-elle en souriant. Pieter sourit à cette réponse et donna un coup brusque, déchirant la membrane et plongeant d'un coup au plus profond. Marin réprima un cri de douleur, car elle avait déjà subi de bien pires blessures, puis elle se concentra sur ce que faisait son amant. Lentement d'abord, puis de plus en plus vite, il se mit à bouger, en de grands mouvements qui lui permettaient d’offrir toute sa longueur à celle qu'il venait de rendre femme. Marin passa ses bras autour de son cou, et l'embrassa, puis il se redressa, s'arrachant à ses baisers, et la surplombant, prit un rythme régulier.

Marin fut d'abord attentive aux sensations qui montaient en elle, la tension grandissante, le léger choc à chaque fois que Pieter atteignait le bout de sa course, le frisson de sa chair quand il repartait en arrière, semblant aspirer avec lui sa substance. Mais bientôt, son esprit se perdit dans des brumes extatiques, et elle perdit contact avec la réalité. Elle revint aussitôt, se demandant si une heure ou une seconde s'était écoulée, constatant que Pieter n'avait pas fini, n'aurait jamais fini.

Mais il était si concentré maintenant, agrippé à ses hanches des deux mains, maîtrisant difficilement sa respiration et donnant des mouvements toujours plus rapides. Marin, l'orgasme passé, retrouvait ses sens, et découvrait que le membre qui la traversait enflait toujours plus, semblant vouloir grossir jusqu'à la faire exploser. Pieter grogna plusieurs fois et soudain se retira, une seconde avant de se répandre sur le ventre de Marin, maculant les draps, tout en continuant de grogner hargneusement.

Marin fut un peu décontenancée.

"Je... pourquoi pas ... en moi?"

Pieter parut soudain retrouver ses esprits, et eut l'air embarrassé.
"Oh... je... désolé... Mais je suppose que tu ne tiens pas à tomber enceinte, non ?"
"Ce n'est pas la bonne période pour ça."
"Oh ? Vraiment désolé. Alors, la prochaine fois, je ne manquerai pas de rester pour la fin..." dit-il avec un sourire.
"La prochaine fois ?"
"Attends quelques minutes, et tu verras bien..." dit-il doucement, en lui mordillant l'oreille.

Marin se jeta à ses lèvres, découvrant avec stupeur combien déjà elle aimait ce qu'il lui faisait !


Chapitre 3 : "Réveil"


"Bonjour, grand-père."

Marin embrassa monsieur Tanaka, puis s’assit sur une chaise près du lit. Le vieil homme sourit doucement à la jeune femme, d’un air un peu triste malgré tout.

"Eh bien, mon enfant, cela faisait longtemps que tu n'étais pas venue me voir..."
"Oui, en effet. Veuillez me pardonner."
"Mais non, voyons, je plaisante..." le vieillard eut une quinte de toux, mais refusa l’aide de Marin d’un geste de la main. Quand il eut repris son souffle, il parla plus doucement, la voix un peu enrouée. "Je plaisante..."

Marin se força à sourire.
"Grand-père, vous devez vous reposer. Après ce que je vais vous dire, vous aurez le désir de retrouver la forme, et il faudra bien vous soigner."
"Oh oh ! Une bonne nouvelle ?"
"Oui. J’ai rencontré l’homme de ma vie, et je souhaite l’épouser."

Monsieur Tanaka toussota légèrement, sa gorge serrée par l’émotion l’empêchant de parler. Mais ses yeux s’emplissaient de larmes tandis qu’il regardait Marin.

"Je veux que vous viviez encore longtemps, grand-père. Si vous vous soignez bien, vous pourrez un jour voir vos arrière-petits-enfants. Je vous le demande, prenez soin de vous, je tiens à vous voir à mon mariage."

Le vieil homme avait retrouvé sa voix.
"Quelle joie, douce Marin, de savoir que tu vas enfin être heureuse. Qui est ce jeune homme ? Est-ce un chevalier ?"
"Non, il ne fait pas partie des Sanctuaires. Je l’ai rencontré par hasard, et nous avons sympathisé. Il est vraiment adorable, si patient avec moi, qui ne suis pas très civilisée ! Je l’aime vraiment."
"C’est parfait. Il n’est que juste que tu puisses toi aussi bénéficier des joies de la vie. Je te promets, douce Marin, de bien me soigner, je tiens moi aussi à voir ton mariage de mes yeux."
"Alors, je ne vous dérange pas plus longtemps. Reposez-vous bien, grand-père." dit-elle en l’embrassant sur le front.

Marin se retourna sur le seuil de la porte, pour lui adresser un sourire et un petit geste de la main. Puis elle sortit.

Dans la nuit, le cœur fatigué de monsieur Tanaka cessa de battre. Il s’endormit paisiblement, un sourire aux lèvres, et ne se réveilla pas.


"Pieter, je veux t’épouser."

A l'instant où Marin assena cette phrase à son ami, elle comprit à son air éberlué que quelque chose clochait. Après le décès de son grand-père, elle avait voulu se déclarer rapidement. Pieter n’était pas au courant de son lien de parenté avec monsieur Tanaka, et de la formidable richesse dont elle allait hériter. Marin voulait être fixée sur les sentiments de Pieter une bonne fois pour toutes, sans que cette fortune ne fausse leur relation.

"Pieter..."
"Je... pardon. C'est assez soudain, comme décision, non ??"
"Pieter, nous vivons ensemble depuis presque trois mois. Je suis sure de ce que je ressens pour toi, désormais, et je crois que si nous devons continuer à être ensemble, nous devrions officialiser notre union. Tout dépend de toi, maintenant."
"Ah, bien, merci du cadeau ! Tout d'un coup, tu me dis 'je veux me marier avec toi' d'un air de dire 'si tu veux pas je te largue' et je devrais me décider comme ça !"

Marin ne comprit pas sur le coup cette réaction. Ils ne s’étaient jamais disputés, et cette discussion prenait une mauvaise tournure. Elle insista, croyant qu'il avait jute peur de s'engager.

"Ecoute, Pieter, ce n'est pas une condamnation à mort, je te demande juste, si tu m'aimes, de le dire haut et fort devant tous. C'est ça, le sens du mariage, pour moi."
"Pas pour moi. Marin, mes parents se sont mariés, se sont promis l'un à l'autre, ça ne les a pas empêché de se détester et de divorcer. Je veux pas vivre ça moi-même. Pour le moment, nous sommes bien ensemble, mais si demain ça casse ? Je veux pas qu'on se déchire. Je préfère que chacun retourne tranquillement à sa vie d'avant, sans se compliquer l’existence."
"Mais... Mais on est pas obligés d’échouer ! Et de toutes façons, des divorces à l'amiable, il y en a toujours eu, on pourra se séparer gentiment, même en étant mariés."
"Marin... Je sais pas comment dire ça... Je... Je vois le mariage comme une contrainte, comme des obligations, et non un acte de courage et d'amour. C'est... comme s’enchaîner avec quelqu’un jusqu'à la mort !"
"En clair, tu préfères garder ta liberté."
"Oui. Marin, je te l'ai pas encore dit, mais j'ai trouvé du travail. Je vais embarquer demain sur un cargo pour trois mois, on va jusqu’en Australie. Je... je me vois pas abandonner ma femme pendant trois mois, et revenir tranquillement ensuite. J’aurais l'impression de... de la planter là comme un chien qu'on attache à un arbre avant les vacances. Je préférerais te savoir libre de faire ce que tu voudrais..."
"Mais qu'est ce que ça change ? Pourquoi tu m'en as pas parlé avant, pourquoi tu me dis seulement maintenant que tu pars ? Qu'on soit mariés ou pas, tu vas me planter là ! Tu crois que parce qu'on sera pas mariés, je m'emmerderais moins pendant ton absence ? C'est pareil !"

Pieter eut l'air embarrassé devant les yeux de Marin qui brillaient, les larmes apparaissant au coin des yeux, mais la colère les dilatant dans le même temps.

"Ecoute, Marin, j'ai pas fait exprès, j'ai trouvé ça hier. Je pensais t'en parler dans la soirée mais j'ai pas trouvé comment. Je... Trois mois, c'est pas trop long, j’espère. Je... Je te promets de réfléchir à ta proposition pendant le voyage... C'est pas facile pour moi."

Marin s'approcha de lui, et appuyant son front contre son torse.
"Promets-moi... promets-moi que tu reviendras."
"Pourquoi ? T'as pas confiance ?"
"Promets."
"OK. Je promets de revenir. Mais ne t'en fais pas, je risque pas de disparaître comme ça."

Pieter se pencha pour l'embrasser, mais Marin se dit que c'était un baiser d'adieu.
 

Le lendemain, Pieter embarquait. Marin se dirigea vers la capitainerie dès que le bateau eut quitté son champ de vision. Pieter n'avait pas voulu donner trop d'indications sur les escales, et Marin voulait savoir ce qu'il ferait. La plus longue escale était à Sydney, lors du chargement de marchandises, et Pieter y resterait six jours. Elle espérait qu'il téléphonerait alors.

Marin retourna au Sanctuaire et reprit l’entraînement de ses disciples avec plus de sérieux que d'habitude.


"Merci Tatsumi, au revoir."

Marin quitta le désagréable majordome, et le manoir de la Fondation. Saori l'avait chargée d'une mission de routine au Japon, et Marin venait de l'accomplir. Elle se demandait pourquoi Saori l'avait choisie, elle. Elle avait dû en effet laisser ses disciples à Shaina, et ce juste pour transmettre un colis urgent à Tatsumi. De nombreux chevaliers moins occupés qu'elle auraient pu se charger de cette mission ! Nombreux étaient ceux qui maîtrisaient le septième sens et pouvaient se déplacer à la vitesse de la lumière. A commencer par le compagnon d'Athéna, Jabu.

A moins que... A moins qu'Athéna ne l'ait délibérément choisie pour une autre raison. Pourquoi l'envoyer au Japon ? Marin réfléchit rapidement, puis se mit à rire. Athéna était si généreuse ! Elle l'avait envoyée ici à ce moment car elle se trouvait alors juste à coté de l'Australie, au moment où Pieter ya faisait escale. Seiya avait dû répéter à Saori les renseignements qu'il avait sur les escales du cargo, et Saori avait attendu ce moment pour lui confier une mission sans doute inutile. Maintenant, elle se trouvait loin du Sanctuaire, et n'avait rien d'autre à faire jusqu'au lendemain que de retrouver son amant.

Marin trouva facilement un coin discret d'où elle pourrait s'envoler sans être remarquée, et elle bondit jusqu’en Australie. Puis elle rejoignit Sydney et les docks en un instant. C'était si facile avec le septième sens...

Elle devait retrouver Pieter. Elle fit le tour des cargos, trouva facilement celui sur lequel il s'était embarqué. Un marin grec lui dit que Pieter logeait à terre, et il lui indiqua le quartier où le trouver, et après l'avoir remercié, elle s'y rendit rapidement, ouvrant tous ses sens pour repérer la présence de son compagnon, peut être bientôt son époux.

Marin sentit la présence de Pieter, au premier étage d'une petite maison bleue. Elle entra, souriant à la concierge, lui disant dans un anglais approximatif qu'elle rendait visite au locataire du premier. La vieille femme la laissa passer sans même lui adresser la parole.

Marin prit l'escalier mais s’arrêta à mi-palier. Pieter était agité, et elle ressentait d'autres présences, elles aussi en mouvement. Ce n'était pas normal. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale. Et s'il était en danger ? Marin monta rapidement et silencieusement les marches restantes. Elle ressentait de plus en plus d'agitation, Aiolia - non, Pieter ! - était sûrement confronté à des loubards ! Marin défonça la porte, et s’arrêta sur le seuil. Ce n'était pas des voyous, ni des dockers.

Pieter s'arracha aux lèvres de la fausse blonde qu'il tenait d'un bras plaquée contre son corps nu, son autre main étant perdue dans les cheveux d'une fille trop jeune qui se tenait nue accroupie à ses pieds, son visage enfoui dans la toison brune de l'homme, et qui continuait son ouvrage sans se rendre compte de la présence de Marin.

"Marin, toi ici ? Je... Je sais, c'est difficile à expliquer... Mais tu sais, pour nous les marins, c'est pas évident de tenir si longtemps. Et puis tu connais les traditions, une fille dans chaque port, tout ça..."

Marin n'eut même pas envie de se disputer avec lui. Elle quitta le seuil, laissant la porte défoncée ainsi que l'homme qu'elle avait aimé avec ses deux prostituées.

Elle disparut dans le ciel de Sydney, et ne revit jamais Pieter.


"Marin, je suis désolée. Vraiment..."

Athéna avait l'air sincère. Lorsqu'elle avait appris que l’Aigle était rentrée immédiatement au Sanctuaire, Athéna avait chargé Seiya de la questionner, et Marin avait fini par craquer et tout raconter. Maintenant que Saori était au courant, elle venait s'excuser pour avoir involontairement déclenché cet incident.

"Athéna, ce n'est rien. Je m'en remettrai."
"Mais... tu as remis ton masque ?"
"Oui, temporairement. Je veux pas que mes disciples me voient pleurer pendant l’entraînement."
"Je comprends. Tu peux le garder le temps qu'il faudra. Je souhaite juste que ce ne soit pas à vie."
"Ca ne le sera pas. Je commence à avoir l'habitude des chagrins d'amour. Oh, Athéna ! Il était si doux, quand nous étions ensemble ! Pourquoi n'ai-je pas vu que jamais je ne pourrais l'avoir à moi seule ?"

Marin retenait difficilement ses larmes.

"C'est une erreur que nous faisons tous au moins une fois... Je crois qu'il est très difficile de comprendre vraiment celui que l'on aime. Alors on se trompe, on se fait des idées, et on finit par le perdre. Mais heureusement, on finit par trouver un jour quelqu'un que l'on comprend mieux, parce qu'on a su apprendre avec le temps, à corriger ses erreurs. Ne crains rien, Marin, tu finiras pas trouver celui qu'il te faut."

Marin ne répondit pas, mais ôta son masque, et essuya ses larmes. Puis elle adressa un triste sourire à Athéna. Celle-ci hocha gravement la tête, et Marin partit lentement.


Marin s’arrêta puis revint sur ses pas. Elle regarda le petit garçon de loin, puis s'approcha. Ses yeux étaient bruns, volontaires, ses sourcils froncés tandis qu'elle le dévisageait. Ses cheveux bruns étaient coupés courts, mais déjà emmêlés, rebelles. Une femme sortit de la boutique devant laquelle le petit garçon attendait, et prit sa main dans la sienne. Lorsque la femme - sa mère, sans doute - vit Marin fixer intensément son enfant, elle lui posa une question un peu inquiète.

"Madame ? Mon petit garçon a fait quelque chose de mal ?"

Marin sursauta, surprise.

"Pardon ? Oh, non... Je... Je le regardais car il ressemble à quelqu'un que j'ai connu."
"Ah ?" Le ton de la femme était méfiant cette fois.
"Je... Je peux savoir comment il s’appelle ?"
"Euh... oui. Voici Aiolia" dit-elle en posant sa main sur la tête hirsute du petit garçon, qui repoussa la main de sa mère avec un grognement agacé. Marin sursauta au nom, bien qu’elle s’y attendait un peu.
"Pourquoi l’avoir nommé ainsi ? Ce n'est pas courant."
"Mais ça ne vous regarde pas !"
"Pardon, excusez-moi... Je ne voulais pas être impolie..."
"Je... Je ne sais pas. Il me semble que j'ai toujours aimé ce prénom. C'est vrai c'est si étrange..."

La femme paraissait troublée, et Marin ne voulut pas la déranger davantage. Elle la salua poliment et fit mine de s’éloigner, mais à la vitesse de la lumière, elle envoya une marque cosmique qui se fixa dans le cou de l'enfant. S'il restait à portée, elle saurait toujours le retrouver.

Encore un. Et cette fois-ci c'était Aiolia. Depuis quelques temps, des enfants étaient retrouvés à travers le monde, présentant une ressemblance frappante avec les anciens chevaliers d'or. Deux jumeaux, Saga et Kanon, étaient déjà arrivés au Sanctuaire à la mort de leurs parents. Ils étaient déjà étroitement surveillés, afin qu'ils ne répètent pas les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs. Un enfant avait été reconnu par les lamas du Tibet comme une réincarnation possible de Bouddha, et il avait des cheveux blonds. Et une jolie petite fille aux cheveux verts et aux yeux bleus avait été trouvée seule par un chevalier, au milieu d'un champ de roses près du Sanctuaire.

Athéna croyait qu'il s'agissait de la réincarnation des chevaliers d'or, revenus à la vie malgré leur disparition que l'on croyait définitive. Mais loin de ressusciter tels quels, ils revenaient à travers de nouvelles existences.

Marin sourit. Aiolia était en vie. Mais jamais il ne serait son amant désormais. Elle devrait vivre sans lui, mais elle avait la certitude qu'un jour, elle le reverrait au Sanctuaire, peut être même serait-il son disciple. En attendant, il ne tenait qu'à elle de trouver le bonheur, ou à tout le moins, une certaine tranquillité, auprès d'un homme aimant - et fidèle.

Marin rentra au Sanctuaire, prit son masque sur sa table de nuit, et le brisa.


Fin de "Marin"
Prochain chapitre : "Jabu"